ENTRETIEN

« Ce que le bouchon peut apprendre au gland »

Nous avons interviewé Eloi Madrià, restaurateur d’espaces naturels et leveur professionnel

Juin 2022

Eloi Madrià nous accueille en pleine forêt, son lieu de travail. Quand on lui demande si la forêt est une histoire de famille, il répond que non. Et qu’il l’a découverte par hasard. Un jour, alors qu’il faisait des photos en amateur, un ami lui a proposé de venir photographier une levée de liège en direct.

« Ça m’a fasciné. À l’époque, on utilisait encore des animaux, et j’ai trouvé ce métier si beau que j’avais du mal à y croire. Il y a vraiment des gens qui travaillent dans un endroit pareil ? » dit-il en levant les mains vers le ciel, nous montrant la beauté du paysage printanier, alors que seuls les chants d’oiseaux et le bruissement des feuilles nous entourent.

Lorsqu’il décide de se consacrer à la forêt, devenir « bosquetà » , comme on dit en catalan, il a 23 ans. Mais il devra attendre un peu.

 

castell peralada
Outils artisanaux pour la levée. Le sac a été réalisé par un ami italien il y a plus de 30 ans.

Il commence à travailler dans l’hôtellerie, puis passe un temps dans un centre d’accueil pour enfants, avant de gérer la comptabilité de l’entreprise familiale, où il « tient » à peine un an et demi. « Je ne suis pas fait pour travailler dans un bureau. » Peu à peu, il apprend les tâches à sa sœur pour qu’elle puisse gérer seule. C’est à ce moment-là, à 25 ans, qu’il se consacre pleinement à la forêt, à la restauration et à l’entretien des espaces naturels. Et, pendant la saison de levée, il déboure les chênes-lièges de la province de Gérone.

Il collabore aussi avec les éditions Gavarres, dirigées par son frère Àngel, qui publient des revues et des ouvrages sur l’histoire, le patrimoine et la mémoire orale, centrés sur différentes régions de Catalogne. « C’est une manière de préserver la culture des villages, qui sinon risquerait de disparaître. »

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Il nous confie que cette année sera sa dernière. L’an prochain, il prendra sa retraite, même s’il continuera à s’occuper de quelques propriétés, « surtout parce que ce sont des amis et qu’ils ont toujours été très corrects avec moi. »

Quand on lui parle de l’avenir de la forêt, et en particulier des Gavarres — ces montagnes qui séparent l’Empordà du Gironès — il nous dit qu’il aimerait les voir entretenues en mosaïque, c’est-à-dire en combinant champs, vignes et forêts. « Ce sera le meilleur moyen d’éviter les incendies, et cela peut aussi devenir un attrait touristique. Vu le type de visiteurs qu’on accueille aujourd’hui dans ces zones, je pense que les vignes peuvent avoir un vrai potentiel. »

L’avenir nous le dira. Pour l’instant, Eloi se consacre à la formation de jeunes amoureux de la forêt, pour qu’ils apprennent à la traiter avec respect. Il dit qu’il prend sa retraite… mais il sera difficile de l’imaginer loin des bois.


Texte: Carola Pérez-Badua
Photos: Caroline Faiola

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